Citations & extraits

Je veux partir avec vous, je veux partir avec vous, En même temps avec vous tous, Partout où vous êtes allés ! Je veux affronter de front vos périls, Sentir sur mon visage les vents qui ont ridé les vôtres, Recracher de mes lèvres le sel des mers qui ont embrassé les vôtres, Prêter mon bras à vos manoeuvres, partager vos tempêtes, Comme vous arriver, enfin, en des ports extraordinaires ! Fuir avec vous la civilisation ! Perdre avec vous la notion de morale ! Sentir se transformer au large mon humanité ! Boire avec vous dans des mers du sud. De nouvelles sauvageries, de nouvelles révoltes de l’âme, De nouveaux feux centraux dans mon esprit volcanique ! Partir avec vous, me défaire de moi – ah, fous le camp, fous le camp d’ici ! – De mon habit de civilisé, de mes façons doucereuses, De ma peur innée des prisons, De ma vie pacifique, De ma vie assise, statique, réglée et corrigée !

Ode maritime, Pessoa

La terre est muette, et l’Océan parle. L’Océan est une voix. Il parle aux astres lointains. Il parle à la terre, au rivage, dialogue avec leurs échos ; plaintif, menaçant tour à tour, il gronde ou soupire. Il s’adresse à l’homme surtout. Que dit-il ? Il dit la vie, la métamorphose éternelle. Il dit l’existence fluide. Il fait honte aux ambitions pétrifiées de la vie terrestre.

La mer, Jules Michelet

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer

L’homme et la mer, Charles Baudelaire

Le vent maltraite la mer. La voie de fait va jusqu’à troubler ce vaste rythme qu’on appelle la marée. Les flots bourrelés s’insurgent. De longs nuages, vessies électriques, se gonflent, et, à un renflement difforme, on devine dans leur flanc la foudre prisonnière comme la bête morte dans le ventre du boa. L’écume ruisselle à mille plis sur les reins de l’écueil comme la robe de lin sur les hanches de Vénus Anadyomène. Le baromètre baisse, puis monte ; même jeu sombre dans l’orage. On entend le sanglot de la création. La mer est la grande pleureuse. Elle est chargée de la plainte ; l’océan se lamente pour tout ce qui souffre. Sous l’eau les effluves vont et viennent, avec une vitesse de soixante dix mille lieues par seconde, du pôle boréal qui a un volcan, l’Hékla, au pôle austral qui en a deux, Erebus et Terror. Le liquide et le fluide combattent. Les solitudes sans défense subissent les chocs de ce tournoi sauvage. S’il n’y a personne, déluges ; si l’homme est là, naufrages. Telle est l’immense aventure de l’ombre.

Proses Philosophique, Victor Hugo

Je m’appelle Ismaël. Il y a quelques années, sans préciser davantage, n’ayant plus d’argent ou presque et rien de particulier à faire à terre, l’envie me prit de naviguer encore un peu et de revoir le monde de l’eau. C’est ma façon à moi de chasser le cafard et de me purger le sang. Quand je me sens des plis amers autour de la bouche, quand mon âme est un bruineux et dégoulinant novembre, quand je me surprends arrêté devant une boutique de pompes funèbres ou suivant chaque enterrement que je rencontre, et surtout lorsque mon cafard prend tellement le dessus que je dois me tenir à quatre pour ne pas, délibérément, descendre dans la rue pour y envoyer dinguer les chapeaux des gens, je comprends alors qu’il est grand temps de prendre le large. Ça remplace pour moi le suicide. Avec un grand geste, le philosophe Caton se jette sur son épée, moi, tout bonnement, je prends le bateau. Rien de surprenant à ça. Chaque homme, à quelque période de sa vie, a eu la même soif d’Océan que moi.

Moby Dick, Herman Melville